Un conte de Claude Foucaud
Ce ne serait pas hélas pas un Noël blanc, mais un de ces Noël gris, humide qui n’engendrait que tristesse et mélancolie.
Des perles de pluie qui recouvrerait les branches dénudées des arbres avaient même perdues cette petite lueur bleue qu’elles jetaient habituellement. Sur une pelouse, on distinguait encore des pâquerettes échevelées qui semblaient salies par la brume, les averses et surtout cet affreux crachin fait de pluie et de neige mêlées. Un peu plus loin, on voyait un bouton de rose oublié d’un vilain brun gris et d’où plus jamais ne s’épanouirait une rose thé.
Mais dans un coin du jardin, près d’un muret en plein sud, se trouvait un massif d’hellébores. Il n’avait pas fait très froid lors de ce mois de décembre et les hellébores qui n’auraient du s’épanouir qu’à Noël entrouvraient déjà leurs corolles. Un if qui se levait fier et vert non loin du massif engagea la conversation :
Un hellébore sur le point d’éclore lui répondit :
L’if faillit s’étrangler. Cette jolie phrase, le troène se l’était tout simplement approprié alors que lui, l’if, l’avait entendu à la télévision. Elle faisait partie d’un concept qui vantait la douceur et la fraîcheur d’une flagrance à moins qu’il ne s’agisse d’un produit de beauté, il ne savait plus.
Et le temps se fit encore plus doux. Le soleil pourtant bien bas dans le ciel lança quelques chauds rayons de soleil dans le jardin. Si les plantes étaient heureuses et se plaisaient dans le jardin, la mélancolie régnait dans la maison. Une nounou plus très jeune, mais revêche, un papa très peu là chez lui et toujours dans les nuages, un petit garçon pâle et triste.
La maman ? Absente, disparue…, jamais là.
Les pâquerettes étaient du même avis.
Un beau matin, la chipie étala ses corolles au milieu des feuilles de son massif. Il faut reconnaître qu’elle était très belle. Une rose de Noël irisée, aux tons pastel, du bleu qui coulait sereinement dans du rose pâle, mêlé de quelques rayures violettes. Le troène, l’if, les pâquerettes applaudirent…tant de beauté que personne à part eux, n’allaient admirer. Personne n’entrait jamais dans le jardin, Noël n’était pas encore inscrit au calendrier.
Attendre, oui. Mais attendre quoi ? Noël, le Jour de l’An, le printemps ?
Le temps glissait lentement.
On était le 23 décembre. Il y eut de l’agitation dans la maison. La nounou, beaucoup moins revêche s’affairait autour de la cuisinière à gaz. Le papa pâle, mais avec un petit sourire… Le petit garçon, excité, fiévreux…
On ne savait que penser au jardin. Alors on parla des hellébores disparus, car ainsi que l’avait prédit l’if, la chipie et ses semblables qui avaient suivit son exemple, gisaient fanées au milieu des feuilles qui essayaient de se replier pour les cacher des regards indiscrets. Finis, out, les hellébores.
Mais il restait un joli bouton qui avait pris de l’ampleur et se dorait au soleil.
Les plantes dormaient depuis longtemps, quand une ambulance s’arrêta devant la maison. Une jeune femme aux traits doux mais un peu tendue tenait la main de l’homme. On l’emporta sur une civière jusqu’à sa chambre. 24 décembre. C’est ce jour que les roses de Noël auraient du s’ouvrir. Elles étaient parties, ne laissant derrière elle qu’un magma de pétales sales.
Les autres s’éveillèrent dans la clarté glauque d’une journée que la météo qualifiait de journée mi-figue mi-raisin, avec des nuages gris et bas, et quelquefois quelques rayons d’un soleil qui tentait de s’affirmer.
La matinée était bien avancée lorsqu’une chaise roulante fut poussée dans le jardin. L’homme pilotait, souriant, une femme toujours pâle l’enfant trottinait à côté.
L’if, que le vent avait penché sur le sol se redressa vaillament. Le troène se secoua. Les pâquerettes essayèrent de faire briller leurs pétales sous les rayons de soleil. Curieuse, le dernier hellébore émergea de sous les feuilles. Son bouton était devenu corolle, et, elle aussi présentait des reflets qui, comme ceux de sa sœur, allaient du rose pâle au violet délicat.
Le chéri en question avait déjà arraché la rose de Noël : une toute petite tige, un bouton qui voulait s’ouvrir. On rentra. Maman qui –l’if devait l’apprendre plus tard- guérissait lentement après un grave accident, demanda à son mari de lui chercher une jolie coupe qui lui venait de sa mère. Fiston réussit sans trop renverser à mettre un fond d’eau et maman y posa délicatement le bouton de la rose de Noël.
On l’oublia.
Vint le soir. Nounou, toute souriante, alluma le sapin tout d’or décoré. On échangea des cadeaux et l’on passa à table.
La rose de Noël était là, au centre de la table, dans sa magnifique robe où des teintes pastels jouaient avec les lueurs des bougies. L’if, qui pouvait voir à l’intérieur de la maison grâce à des volets non fermés songeait à ce qu’il avait entendu. Oui, en ce jour la tendresse s’était étendue sur cette maison. La joie allait renaître. La rose de Noël participa à cet élan d’espérance. Radieuse dans sa coupe désuète, elle, qui n’avait pas voulu fleurir, déployait toute sa richesse. Elle étincelait devant les yeux éblouis des convives qui, pour ces fêtes de Noël, espéraient comme de nombreuses familles sur terre, un peu de bonheur dans ce monde chaotique… Joyeux Noël à tous.